Païen vs chrétien


Les légendes bretonnes et le cycle arthurien mêlent deux mondes a priori antinomique : le païen et le chrétien. J’évoque cette thématique dans le chapitre 3 des Murmures d’Ys, notamment à travers les tombes du cimetière abandonné.

« Même si le crucifix paraît chrétien, il porte un symbole païen. Le fidèle agenouillé peut prétendre aimer Jésus ; en vérité, il adore le soleil figuré par le cercle. »
Ewyn, à propos de la croix celtique.

Il existe d’autres interprétations au cercle de cette croix. D’aucuns y voient la roue cosmique, que l’on retrouve de l’Occident jusqu’à l’Extrême-Orient (roue du Dharma). D’autres, sous un angle résolument chrétien, proposent plutôt d’y voir l’image d’une hostie…

Ces divergences de point de vue reflètent une chose : pour s’imposer avec succès, les religions nouvelles n’éradiquent pas tout à fait les croyances qui les précédaient. Elles assimilent et réécrivent à la lumière de leur propre dogme.

La Matière de Bretagne ne regorge-t-elle pas de figures païennes déguisées ?

La Table ronde et le Graal, miniature d’un Lancelot en prose, 1470

Ultime objet de quête, le saint Graal se présente sous la forme d’un récipient. Son pouvoir nourricier miraculeux rappelle étrangement le chaudron d’abondance du dieu-druide Dagda.

La lance de Longin, qui aurait percé le flanc du Christ et dégoutterait son sang, trouve son alter ego entre les mains du dieu Lug. Arme foudroyante, toujours mortelle, la lance de Lug ne peut être maîtrisée qu’en baignant, pointe en bas, dans le sang du dieu lui-même. Et bien entendu, ce sang est recueilli au fond du chaudron de Dagda…

Dernier exemple : sainte Anne, fort vénérée en Bretagne, n’est-elle pas une rémanence de la déesse-mère Dana/Ana ? Étrangement, elle apparaît comme une figure maternelle ultime, la mère de Marie, grand-mère du Christ. Même son âge avancé suggère une entité ancienne.

Statue de Sainte Anne et Marie à Sainte-Anne-d’Auray (Morbihan)

Pour ma part, je trouve les récits de chevalerie du XIIe siècle fascinants. Ils mettent en scène des héros résolument chrétiens, animés de la foi de Dieu. Pourtant, ces mêmes héros ne cessent de croiser des objets merveilleux, des fées, des enchanteurs n’ayant rien de catholique. Parfois, ils vont jusqu’à visiter des lieux totalement magiques, comme Gauvain au château des Reines, en franchissant des passages symboliques entre les mondes (mers, rivières, ponts périlleux…).

En rédigeant ses romans, Chrétien de Troyes nage entre deux traditions qui devraient s’opposer. Il ne cherche même pas à justifier les éléments surnaturels à l’aune de la parole biblique ! Ses récits forment un mélange harmonieux et riche, une sorte de balance mystique. L’équilibre se rompt plus tard avec ses continuateurs, en particulier avec Robert de Boron.

C’est en partie pour cela que j’ai choisi de situer Les Murmures d’Ys au XIIe siècle, à une époque riche où les nuances, les flous et les prodiges semblent encore possibles.

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