Les Murmures d'Ys T1, chapitre 6 :

Loren-Durdd

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Les maisons s’effacèrent. Dans les champs, les oiseaux picoraient à la recherche de grains oubliés. Les cailloux crissaient sous les griffes de Yuna. Sa longue queue d’épagneul se balançait. Un halètement exhalait de sa poitrine.

Ewyn portait une écharpe bleu ciel. La fraîcheur du matin rosissait son nez, ses joues. Comme Yuna, il cachait bien son jeu derrière sa silhouette mince.

Killian réfléchit à ses propres talents. Que pouvait-il leur apporter ? Il ne possédait aucune capacité spéciale. Pire, au cimetière en ruine, les revenants l’avaient pétrifié. S’il ne prenait pas sur lui, il deviendrait vite un poids mort. Non seulement il ne servirait à rien, mais en plus, les autres devraient le secourir !

— Ne lambine pas, lança Yuna en le voyant absent. L’aventure n’attend pas !

La chienne souriait étrangement. Il se détendit.

« Je deviendrai plus fort », résolut-il en pensée.

 

Quand le soleil atteignit son zénith, ils s’arrêtèrent pour manger. Ewyn avait acheté toutes sortes de provisions avant de partir. Il partagea sans faire de commentaire.

Killian imaginait les moines pauvres. Ne faisaient-ils pas des vœux en entrant dans les ordres ? Sous ses yeux s’étalaient des fruits, du fromage, du pain et même de la charcuterie. Des textures, des saveurs se rappelaient à son palais. Il fit craquer la croûte bien cuite avec ravissement.

— Merci beaucoup. Tu es sûr que cela ne posera pas de problème ?

— Quoi donc ?

— De nourrir deux bouches en plus jusqu’à ton abbaye ? Je veux dire… Je peux me débrouiller avec des pommes ou d’autres choses trouvées sur le chemin.

Ewyn secoua la tête.

— Le père Fearghal donne toujours une somme d’or aux frères en mission. Nous tiendrons sans mal jusqu’à la Croix d’Argent.

— Voilà un homme trop aimable, ricana Yuna. Il serait content d’apprendre que tu nourris les korrigans à ses frais.

Elle croqua dans son pain. Il considéra ses mains, sa bouche minuscule. Elle faisait un festin d’un quignon gros comme une noix.

— Grâce au Ciel, tu ne me coûtes pas cher, répliqua-t-il d’un ton blasé.

Killian pouffa de rire. Les autres lui jetèrent un regard sombre. Il s’excusa avec un sourire.

— Désolé !

Il acheva son dîner et s’éloigna vers un bouquet d’arbres. Un moment plus tard, il revint avec un bâton. Les deux belligérants ne s’étaient pas encore étripés. Ce modeste détail le rassura.

Yuna fit la moue en avisant sa nouvelle canne. Ses flancs se souvenaient des coups reçus deux jours plus tôt. La mine boudeuse, elle désigna Ewyn.

— Si tu comptes brutaliser quelqu’un, occupe-toi de lui !

Killian s’assit d’un air calme.

— Ne t’inquiète pas, je l’utiliserai juste pour la marche. C’est un vieux truc enseigné par mon grand-père.

Le bois formait un nœud à l’une des extrémités. Il s’employa à tailler le surplus pour façonner une boule.

Avec ses cadets, Killian avait souvent eu l’occasion de se battre. Il estimait lâche de régler les problèmes par la violence. En revanche, il adorait les joutes amicales. Au fil des années, il avait ainsi sculpté plusieurs armes. En tant qu’adversaires, Gael et Lanig se révélaient vifs, endurants. Les trois frères maniaient l’épée avec habileté pour des enfants de vilains.

Les modèles ordinaires de penn bazh1 possédaient une tête forte tournée vers le sol. Le côté fin servait à la prise en main. Killian avait choisi une branche plus haute que la normale pour pouvoir effiler la pointe. En vérité, il ne fabriquait pas un simple appui. Il concevait une arme capable d’assommer d’une part, d’embrocher de l’autre.

Il fit voler les copeaux jusqu’à l’obtention d’un résultat satisfaisant. Ewyn et Yuna le dépassaient, certes. Ce bâton amélioré constituait néanmoins son premier moyen de défense.

 

Après une courte sieste, ils reprirent la route. Une chaleur douce flottait sur la campagne. Les garçons retirèrent cape et écharpe. Yuna s’amusa à courir dans les talus, à revenir en aboyant. Sa gestuelle et sa voix imitaient celles du chien à la perfection.

— Je suis douée, hein ? lança-t-elle en bondissant.

— Meilleure qu’un original !

— Si elle pouvait aussi se taire…, marmonna Ewyn.

Killian s’esclaffa.

— Tu n’es pas très bavard, toi, pas vrai ?

— C’est contraire à la Règle. Celui qui parle beaucoup ne manque pas de pécher, mais celui qui retient ses lèvres est un homme prudent2.

— Et donc… ?

— Donc les moines ne rient pas, ne déblatèrent pas à tort et à travers. D’ailleurs, cela assèche ma gorge.

Sceptique, Killian sourcilla.

— Tu cites tes textes, mais tu ne sembles pas si rigoureux. Déjà, tu voyages avec de l’argent. Ensuite, on voit tes grandes bottes et un bout de tes chausses noires… Je n’avais jamais croisé de religieux avec une robe si courte. Tu n’as pas non plus le crâne rasé. Tes cheveux sont plus longs que les miens !

— La tonsure ne signifie rien. L’abbé Fearghal préfère que nous portions notre foi dans nos cœurs, plutôt que sur nos têtes. Quant à mes vêtements, ils ont été conçus pour…

Une vibration remonta à travers ses semelles. Aux aguets, Yuna se tendit.

— Des cavaliers !

Un nuage de poussière grossit au loin. Des éclairs métalliques scintillèrent. Trois chevaliers approchaient, couverts de leur haubert, coiffés d’un heaume. Le premier portait des armes de gueules3 et d’or ; le deuxième, argent et sable. Des clés adossées blanches sur champ d’azur figuraient sur l’écu du troisième. Les prunelles de Killian s’agrandirent. Ces guerriers semblaient surgir d’une chanson de geste !

Les destriers battaient la terre. Ewyn éprouva un malaise. L’homme de tête se cramponnait à sa monture, couché sur le cou. Ses rênes divaguaient hors de portée. Les autres cavaliers tiraient sur leurs brides. Les lèvres des animaux saignaient ; ils ne s’arrêtaient pas.

Une voix terrifiée s’éleva.

— Écartez-vous !

Les marcheurs se rabattirent. Un coup de vent les fit vaciller. Les chevaux passèrent tout près, sans ralentir. Leur toison écumait. Un liquide rouge noyait l’intérieur de leurs yeux. Une lueur démente brûlait au fond de leurs pupilles.

— Ce n’est pas normal ! s’alarma Killian. Il faut les aider !

Il s’élança. Une main l’attrapa au col, le repoussa en arrière. Rapide comme l’éclair, Ewyn le dépassa.

— Reste où tu es !

Énonçant des formules, il fouilla dans ses ceintures, tira une poignée de croix d’argent taillées en pointes. Il les lança : ses projectiles fusèrent loin, par-dessus les cavaliers, en arc de cercle. Les piques se fichèrent dans le sol.

— Spirituum Finis !

Une clarté aveuglante jaillit. Un voile blanc se forma depuis les objets, vertical, tel un mur. Les destriers stoppèrent leur course net. Les hommes s’accrochèrent pour ne pas basculer.

Ewyn scanda des mots. Un sigil violet se déploya sous ses pieds. Le vent magique monta des symboles, des lignes, tournoya avec puissance. Il tendit les bras. Une boule d’énergie naquit entre ses mains, de plus en plus grosse. Le souffle du cercle s’y concentra jusqu’à la menacer de la rompre.

Soudain, d’un coup de paume, il la projeta en l’air. Les chevaux firent volte-face.

— Sagittis Separatio !

La sphère éclata. Des milliers de rayons s’abattirent en une pluie de flèches. Yuna, Killian, les chevaliers baissèrent les yeux. Les animaux hurlèrent. Le noble aux armes d’azur pâlit d’horreur.

— Qu’est-ce que… ?

Les rais passaient à travers ses chairs, criblaient sa monture. Un nuage noir s’élevait du corps de la bête. Une silhouette filiforme s’assembla, puis une face cireuse, tordue. Un son effroyable s’échappa de sa bouche.

— IIIIIIIIIIIIIHHH !!!

Une convulsion souleva le destrier. Le cavalier chercha à s’agripper, trop tard. Il chuta au sol. L’un de ses compagnons hurla.

— Attention !

L’homme roula sur le côté. Il s’appuya sur son coude droit pour se relever. Dans un gémissement, il s’affaissa. Une vague affreuse se répandit, depuis sa clavicule à tout son corps. À nouveau, il se souleva. Un sabot tomba près de sa tempe. Killian se précipita avec son arme improvisée.

— Attends ! s’époumona Yuna. Tu vas te faire tuer !

La pique levée, il se plaça face à la bête furieuse.

— Arrière ! Recule !

Le geste brusque, il brandit sa lance. Les yeux inondés de sang roulèrent dans leurs orbites. L’animal piaffa, hennit. Il recula. Killian enjamba le chevalier.

« Je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur ! »

Le destrier se cabra. Ses antérieurs visèrent l’adversaire. Sans céder, celui-ci les évita.

— Quel imbécile ! s’écria Yuna.

D’un bond, elle se rua vers l’homme à terre, l’agrippa par les vêtements. Il geignit ; elle le traîna. Une nouvelle salve de rayons s’abattit. Face à Killian, la bête chancela. Un râle d’agonie monta de sa gorge. Le nuage noir se désagrégea.

Les chevaux se calmèrent. Leurs maîtres en selle frissonnaient d’épouvante. La barrière blanche se dissipa.

Killian baissa son bâton. Ses mains glissaient. Le visage rouge, il contempla le noble couché sur le talus. Ses compagnons accoururent.

— Messire ! Êtes-vous blessé ?

— Mon épaule…

La douleur déformait ses traits. Ils l’aidèrent à se relever. Le chevalier aux armes de gueules se tourna vers Killian.

— Merci. Si tu n’avais pas agi, il serait mort piétiné.

L’intéressé vacilla. Une vague de soulagement le submergea.

— Je vous en prie. Mon ami là-bas s’est montré plus brave que moi. Pas vrai, Ewyn ?

Avec un grand sourire, il se retourna. L’exorciste gisait au milieu du chemin, évanoui.

 

Le soleil déclinait par la fenêtre de la chambre. La lumière orangée permettait encore d’y voir. Killian préféra allumer une bougie.

Enfoui sous une couverture épaisse, Ewyn reposait dans un lit. Son visage émergeait, livide, entouré d’un halo pâle. Il ressemblait à une statue d’église, immobile et glacée. Avait-il subi une attaque ? Quand ? Trop absorbé par son combat, Killian ne l’avait pas vu s’effondrer. Assis à son chevet, il se tordait les doigts. Il se sentait stupide, coupable.

Il passa une main sur son front, toujours aussi froid.

— Bon sang ! lâcha-t-il entre ses dents.

Couchée sur le plancher, Yuna gardait le regard fixe, la tête à plat. Ses oreilles frémissaient, à la recherche d’un signe. Un froissement des draps l’alerta.

— Il revient à lui !

Ewyn reprit contact avec le réel. Des taches colorées dansaient devant ses yeux clos. Il sentit une surface molle sous son corps. Une matière douce l’entourait. Où se trouvait-il ? Rêvait-il encore ? Il s’attendait à s’éveiller sur le sol, dans la terre âpre et les cailloux. Un jappement retentit au loin, suivi d’un timbre familier.

— Il s’est réveillé !

— Dieu soit loué ! répondit quelqu’un d’autre.

Il ouvrit les paupières. Une figure soucieuse lui apparut.

— Ça va ? interrogea Killian en étudiant sa réaction.

Un grognement lui échappa.

— J’ai un peu froid… et mal à la tête.

Il s’enfonça dans son oreiller. Pendant un moment, il contempla le plafond. Les lattes de bois paraissaient noires dans la lumière rasante.

— Où sommes-nous ?

— Dans une auberge. Messires les chevaliers nous ont conduits ici. Leur ami blessé se repose dans la pièce voisine.

— Nous vous devons beaucoup, affirma la voix inconnue. Je vous en prie, appelez-moi par mon prénom. Je suis le seigneur Carloman.

Ewyn soupira. Se faisant violence, il s’assit sur sa couche. L’un des nobles se tenait là. De carrure trapue, il semblait âgé d’une quarantaine d’années. Ses cheveux roux, bouclés, tombaient jusqu’à ses épaules. Une barbe courte et une moustache entouraient sa bouche. Il avait posé son heaume et son écu argent et sable contre un mur, près de la porte. L’épée restait suspendue à la ceinture.

Ewyn passa une main sur son visage. Il revit la pluie de flèches, les animaux emballés. Comment cet homme s’était-il retrouvé dans une telle posture ? Il prit quelques instants pour chasser le brouillard de ses pensées.

— Puis-je vous questionner, messire ? demanda-t-il après un long silence.

— Bien sûr.

— D’où veniez-vous avant que l’on vous croise ?

— D’Urbs rubra, à l’est de cette contrée.

Ewyn visualisa la ville. Même sur un cheval rapide, le voyage ne s’effectuait pas en une journée.

— Quand vos destriers ont-ils montré de l’agitation ?

— Ils étaient nerveux ce matin, mais ils se sont emballés peu avant notre rencontre.

Cette fois, les mots prirent aussitôt un sens. Il réfléchit. Les possessions d’animaux constituaient des cas très rares. Leur esprit, plus résistant que celui des humains, rendait l’assimilation lente. En présence d’ondes mauvaises, l’instinct leur dictait la fuite. Seuls les individus piégés ou malades, incapables de se déplacer, restaient assez longtemps au même endroit pour permettre aux revenants de les envahir. Or, cette fois, l’affaire concernait trois chevaux aptes au galop…

Une idée l’effleura.

— Où vous étiez-vous arrêtés pour la dernière fois ?

— Dans une auberge. La nuit approchait et nulle maison noble ne se trouvait sur notre route. Nous avons été chanceux de tomber sur une pension.

— Avez-vous enfermé vos montures ?

— Ma foi, nous les avons confiées au patron. Il a pris grand soin de les bouchonner et les a installées dans son écurie. Mais… où veux-tu en venir avec ces questions ?

— Je cherche une théorie. N’avez-vous rien noté de spécial dans cette auberge ?

Sire Carloman resta pensif. Il secoua la tête.

— Non. Les hôtes étaient nerveux, mais tous le sont lorsqu’ils reçoivent des seigneurs en leur logis. Ils nous ont traités avec égard, nous ont fourni une nourriture correcte et de bons lits.

Ewyn le remercia. Il se fit indiquer la localisation précise de la demeure.

— C’est sur notre chemin, déclara-t-il. Nous irons y jeter un œil.

— Demain peut-être, intervint Killian, mais pour l’instant, tu vas te reposer. Tu nous as fait une belle peur !

Il associa ses paroles à une mine autoritaire. Ewyn maugréa en se recouchant.

— C’est bon. Tu n’es pas mon père.

— Encore heureux !

Des bruits métalliques résonnèrent dans le couloir. La porte s’ouvrit. Tout équipés, les chevaliers se tenaient prêts à partir. L’accidenté portait son bras en écharpe. De taille haute, les cheveux bruns, il approchait des trente ans. Ses yeux noisette s’animaient d’un éclat perçant.

Il s’avança face au jeune paysan. Par politesse, ce dernier s’inclina.

— Je suis le seigneur Kae. Relève-toi.

Sa main gauche s’orienta vers sa ceinture et détacha des sangles.

— Je te remercie de m’avoir tiré des griffes d’une mort stupide. Accepte ceci en récompense.

Il lui tendit son épée. Stupéfait, Killian regarda l’arme, les lanières pendantes. La paume en face ne bougeait pas.

— Prends-la. Elle a pour nom Loren-Durdd et fut forgée par le grand Trébuchet. Elle fut mon alliée fidèle depuis mes débuts de chevalier.

Killian n’en croyait pas ses yeux.

— Vous… vous me la donnez ? … Pourquoi ?

— Tu n’as pas hésité. Tu as beau être jeune, j’ai vu ton courage. Même des hommes d’expérience auraient reculé face à cette bête dévorée par le démon. Si tu développes tes qualités, tu connaîtras un grand destin. C’est pourquoi je t’invite si tu le souhaites à rejoindre mon château à tes quatorze ans pour recevoir un entraînement d’écuyer. En attendant, et quel que soit ton choix, utilise cette lame pour faire le bien. N’oublie jamais la bravoure brûlant en toi.

Il lui pressa l’épaule, déposa l’épée entre ses doigts. Killian accueillit l’objet, abasourdi.

— Nous partons, lança Sire Kae à ses compagnons.

Il disparut dans le couloir. Le seigneur Carloman hocha la tête avec gratitude.

— Merci pour votre aide.

— Vous ne restez pas pour la nuit ? s’étonna Ewyn depuis son lit.

— Nous sommes attendus. Rétablis-toi bien, jeune moine. Que Dieu vous garde.

Il referma la porte en sortant. L’épagneul se transforma. Exaspérée, Yuna fit les cent pas.

— Les humains ne connaissent pas le mot « respect », ou quoi ? Je n’ai pas eu droit aux remerciements de ces idiots !

— Moins fort, soupira Ewyn. Ils t’ont vue sous les traits d’un chien, je te rappelle.

— Et alors ? Je suis un être vivant, nom d’une tige ! C’est moi qui ai traîné l’autre grand crétin loin des sabots de son cheval. Si j’avais su, je l’aurais laissé se débrouiller. Les gens de votre espèce sont-ils tous aussi ingrats ?

Scandalisée, elle se tourna vers Killian. Celui-ci tenait le cadeau de Sire Kae, une main sous la poignée, la deuxième sous le plat. Il sentait à peine son poids tirer sur ses bras.

Le fourreau se constituait d’un bois fin recouvert de cuir noir. Des motifs d’arabesques et de feuilles d’acanthe s’enroulaient autour de sa silhouette effilée. Sculptés avec élégance, deux lions majestueux se distinguaient au milieu. Une bouterolle4 à l’éclat froid finissait l’objet à son extrémité.

La garde scintillait. Une pierre rouge rehaussait le pommeau de couleurs flamboyantes. Des bandes brunes enveloppaient la fusée. Killian osa s’en saisir : ses dix doigts y trouvèrent leur place à la perfection. La magnificence de l’arme, ses teintes unissant le feu à l’argent pur l’éblouissaient. Son cœur battait si vite qu’il cognait contre ses tempes.

Ewyn se redressa. Il pensait que le chevalier avait légué un objet en fin de vie, émoussé, une broutille bonne à jeter. À la place, il aperçut une épée sublime, la plus belle qu’il n’eût jamais vue.

 

« Je t’invite si tu le souhaites à rejoindre mon château à tes quatorze ans pour recevoir un entraînement d’écuyer. »

 

La proposition paraissait irréelle. Comment un vilain aurait-il pu bénéficier d’un tel enseignement ? Seuls les fils de la noblesse y avaient droit. Même eux ne recevaient pas d’arme personnelle avant leur adoubement, à vingt ans passés.

Killian vivait un rêve éveillé.

 

« Utilise cette lame pour faire le bien. N’oublie jamais la bravoure brûlant en toi. »

 

D’une main mal assurée, il tira l’épée du fourreau. Le plat se révéla, court, lisse et resplendissant. Des lignes discrètes creusaient le fort, près de la garde. À travers ces caractères, Killian devina son nom, Loren-Durdd.

Dans le métal, il rencontra son propre reflet. La flamme de la bougie brillait sur ses prunelles émues. Une onde de détermination se propagea dans sa poitrine. En silence, il jura d’honorer la confiance de son donateur.

— Je consacrerai cette lame à la Lumière.

1 Bâton traditionnel des paysans bretons. Il se compose des mots penn (« tête ») et bazh (« bâton »). 2 Proverbes, 10, 19. 3 De couleur rouge. 4 Pièce métallique placée au bout du fourreau.

À suivre…

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