Une fois n’est pas coutume, je vous propose aujourd’hui de vous intéresser à un tableau de 1810, Le Moine au bord de la mer.
Son auteur, Caspar David Friedrich, est un peintre allemand du mouvement romantique. Ses œuvres, pour l’essentiel des paysages, dégagent une force mystique qui m’inspire beaucoup. Son Abbaye dans la forêt est en grande partie responsable de la scène de l’église en ruine dans le chapitre 3 !
Je me suis rappelé Le Moine au bord de la mer bien après avoir écrit la première version des Murmures d’Ys en 2010. Je l’avais aperçu dans des livres d’art, mais il ne m’avait pas particulièrement marquée. En le revoyant, j’y ai trouvé un écho étrange et fort avec certains passages de mon roman. Le personnage pensif ne serait-il pas l’un des exorcistes de la Croix d’argent ? Le père Fearghal perdant son regard sur l’horizon, à la recherche d’Ys ? Ou tout simplement Ewyn, face à sa solitude et sa mélancolie ?
Grâce à sa puissance d’évocation, nous pouvons facilement projeter notre imagination dans l’œuvre de Caspar Friedrich. Je vous propose d’étudier sa composition, du moins telle que je la perçois. À vous d’affiner ensuite votre analyse !
La première chose me frappant ici, ce sont les lignes horizontales. La terre, irrégulière, résonne avec l’implacable droiture de l’eau.
De toute cette toile, l’unique ligne verticale, c’est le moine. Perdu dans l’immensité, il est solitaire, vulnérable. Observez-le : il n’est même pas placé au centre. Il est minuscule, relégué vaguement à gauche tel un détail. Avec sa robe sombre, il ne se détache pas du paysage. Les couleurs l’engloutissent presque dans l’océan.
À quoi ce moine pense-t-il, seul face à cet espace trop grand ?
Son dos nous invite à nous projeter à travers ses yeux. Caspar Friedrich utilise ce même procédé dans son sublime tableau Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages. Il s’agit d’un procédé ultra-moderne, si l’on y réfléchit : c’est exactement le même dans les jeux vidéo. Il rend possible l’identification du joueur au héros. Placez Link au sommet d’une montagne dans The Legend of Zelda : Breath of the Wild. L’image n’est-elle pas identique ?
Dans ce décor de sable minéral, d’eau et d’air, le moine est le seul être vivant. Considère-t-il sa condition humaine ? Le caractère éphémère de son existence, comparé à des éléments immémoriaux ? Face aux vagues fortes et innombrables, il mesure sa faiblesse et son insignifiance.
Le fait que le personnage soit un religieux, et non un homme ordinaire, élève cette scène à un degré mystique. À son instar, nous pouvons chercher la lumière derrière les nuages, une présence divine. Le ciel n’est alors plus un infini néant : il se peuple tout entier d’une entité transcendante.
La composition nous propose une échelle de l’inatteignable. Au bas de la toile, la terre où se confine le moine. Ensuite, l’eau, où l’homme peut s’aventurer à ses risques et périls, mais où il n’est déjà plus à sa place. Enfin, le vaste domaine des airs, inaccessible.
Notre champ est si restreint, comparé à tout ce qu’il existe…
À travers cette œuvre, nous pouvons nous émerveiller de la nature puissante et éternelle. Nous pouvons chercher la clarté dissimulée derrière le voile. Le paysage, le ciel immense nous renvoient à notre solitude… mais si l’on possède une forme de foi, le vide tout entier devient un réceptacle, témoin de la présence, de l’omniprésence du divin ; la manifestation d’un mystère qui nous dépasse.
Autres œuvres citées :
L’Abbaye dans une forêt de chênes, 1810
Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages, 1818